7.5 Des stratégies pédagogiques basées sur l’interactivité

Nous allons aborder dans cette section des stratégies pédagogiques dont le fonctionnement est ancré dans la pratique interactive et qui sont applicables à des contextes de formation à distance. Pour commencer, nous poserons les bases du concept en situation de formation à distance en ligne. Ensuite, nous ferons un focus sur 2 des stratégies qui rencontrent une popularité croissante : l’apprentissage collaboratif et la classe inversée.

Quatre personnes tiennent chacune la pièce d'un puzzle et les assemblent sur une table.

Qu’est-ce qu’une stratégie pédagogique ?

Une stratégie pédagogique représente l’ensemble des moyens, outils et activités mis en oeuvre pour adapter une méthode pédagogique donnée au contexte de formation : milieu, enjeux, public, ressources, objectifs, temporalités, notamment. Cette notion va bien au-delà de la simple sélection de la méthodologie en tant que telle, car elle prend aussi en compte les facteurs cognitifs qui soutiennent la réussite de l’apprentissage.

De plus, penser en termes de stratégie pédagogique demande de s’interroger non seulement sur les pratiques d’enseignement mises en place par les formatrices et formateurs, mais aussi sur les stratégies d’apprentissage employées par les apprenant·es impliqué·es dans le processus. En effet, ce concept aborde l’activité de formation d’une manière holistique : la réussite, donc l’acquisition de connaissances et de savoirs, dépend à la fois du travail de la figure enseignante et de l’implication des personnes apprenantes.

La communauté francophone des sciences de l’éducation semble préférer aujourd’hui le terme de « stratégie pédagogique » à celui de « méthode pédagogique » ou de « méthode d’enseignement ». Cette préférence a pour origine de nombreuses critiques qui ont été faites par les chercheurs francophones à l’égard d’une vision technocratique réduisant la pédagogie à l’application d’une « bonne » méthode d’enseignement (Bru, 2002; Maubant, 2004). Remplacer le terme « méthode » par celui de « stratégie » permettrait dès lors de mieux prendre en considération les dimensions créatives et adaptatives de l’action pédagogique liées aux buts poursuivis et aux contraintes de la situation.

Site WikiTEDia de la Téluq

Les stratégies basées sur l’interactivité

Maintenant, intéressons-nous aux stratégies pédagogiques qui sont essentiellement basées sur l’interactivité. Ces stratégies permettent de mettre en œuvre des situations d’apprentissage qui encouragent voire qui reposent sur l’implication active des apprenant·es soit pour assimiler les connaissances et compétences, soit pour les créer.

En effet, la connaissance n’est pas unilatéralement transmise de l’enseignant·e à l’apprenant·e, mais se construit; l’apprenant·e impliqué·e dans ce type de démarche s’engage à collaborer, à interagir, avec le dispositif d’apprentissage ou avec d’autres personnes, engagées également dans le processus de formation. Cette interaction peut prendre plusieurs formes selon le contexte : répondre à un quiz, résoudre un problème, réaliser un projet, interagir avec une tutrice ou un mentor, etc.

Enseigner de manière interactive implique également de créer des moments et des espaces d’échange, de partage, de collaboration. Puisqu’il n’est pas possible à distance de créer des espaces physiques de rencontre de groupe, il va falloir mettre en place une infrastructure numérique adaptée, flexible et stable qui servira de lieu de réunion, aussi bien des apprenant·es avec les formatrices·teurs qu’entre pairs.

Grâce à tous les outils présentés dans les sections précédentes de ce guide, il n’est pas surprenant que nombre de stratégies pédagogiques interactives puissent être techniquement adaptables à la distance.


Les enjeux en formation à distance

Mettre en place une stratégie pédagogique basée sur l’interactivité n’est pas toujours chose facile en formation à distance, précisément à cause de l’engagement que cela demande aux formatrices et formateurs, mais aussi aux apprenant·es. En effet, il ne suffit pas de trouver les outils techniques pour susciter l’implication, il faut aussi agir sur certains paradigmes déterminants.

Le premier : la conception que l’on se fait de la formation à distance. Un grand nombre de personnes choisissent la FAD, surtout asynchrone, en prenant pour acquis que le passage à distance garantirait une certaine dépersonnalisation, voire anonymisation de l’activité d’apprentissage. Cette conception s’accompagne aussi du souhait de suivre la formation à son rythme de manière plus individualisée afin la faire coïncider avec son planning personnel. La perception du parcours solitaire de l’étudiant·e en FAD représente certes un enjeu qui peut mener au décrochage, mais est aussi précisément un facteur motivationnel dans certains cas.

Mettre en place une stratégie basée sur l’interactivité doit donc se faire de manière réfléchie à la lumière du contexte et des objectifs de la formation à donner. Il faut également communiquer à l’avance sur la manière dont la formation sera dispensée afin que les apprenant·es fassent un choix éclairé et soient davantage préparé·es à l’interactivité.

Parfois, la représentation que les étudiants se font de la FAD, avant le cours, est celle d’un processus anonyme. Ils peuvent alors avoir de la difficulté à s’impliquer.

Marcelle Parr,
Action Compétences

Dans notre cas, les gens préfèrent des formations elearning afin de correspondre et de « fitter » dans leur contexte de travail. Les Webex utilisés sont rarement appréciés car ceci nécessite de les libérer de leurs emploi.

Isabelle Paradis,
Étudiante en maitrise Technologie éducative et pédagogique à l’Université TÉLUQ

Le deuxième paradigme déterminant concerne la timidité face à l’objectif. Autant nous sommes habitué·es à être vu·es si nous allons dans une salle de classe physique, autant le rapport à l’image diffère lorsqu’il s’agit d’entrer dans une salle virtuelle. Du coup, dans les formations synchrones qui se prêtent techniquement bien à l’utilisation de la vidéo ou de la voix, il n’est pas toujours évident de rassurer les apprenant·es sur l’activation de leur webcam et le fait de prendre la parole.

Un obstacle rencontré souvent lorsque je souhaite favoriser l’interaction en ligne : la gêne des étudiants-es, la difficulté à « briser la glace », à s’exposer au regard des autres.

Guillaume Robidoux,
Collège de Valleyfield

Une note importante : ce phénomène n’est pas toujours conditionné par l’âge comme nous pourrions le penser au premier abord. Il arrive souvent que des jeunes soient mal à l’aise avec l’utilisation de la vidéo ou de la voix car l’adolescence est précisément un âge où le jugement des autres a un grand impact sur la confiance en soi, comme l’explique justement Guillaume Robidoux :

Je pense que la fragilité de l’identité caractéristique des ados rend l’exposition publique plus risquée, surtout dans un contexte institutionnel.

Guillaume Robidoux,
Collège de Valleyfield

Dans la classe virtuelle, certaines personnes peuvent se sentir mal à l’aise car elles ont l’impression d’être « vues par tout le monde » ou qu’elles ne sont pas complètement à l’aise avec l’infrastructure technologique de formation. Dans les groupes qui sont amenés à travailler ensembles sur de longues périodes, par exemple une année scolaire, il va être plus facile d’établir de la confiance et de mettre tout le monde à l’aise, car il y aura plus de temps pour réaliser des activités de présentation ou tout simplement plus de temps pour s’affirmer dans le groupe, mais c’est plus difficile à faire lorsque votre formation tient en 1 ou 2 séances de 2 heures et que vous n’avez pas le temps de laisser la confiance se bâtir toute seule.

Donc, comment briser la glace si vous mettez en place une stratégie basée sur l’interactivité ? Certain·es formateurs·trices opteront pour des stratégies qui permettent de travailler en sous-groupes afin de réduire la gêne des apprenant·es, comme le proposait Marcelle Parr (Action Compétences) lors de la table d’échanges technopédagogiques organisée par le REFAD le 7 mars 2019. Khalid Ouaaziz (Conseil des écoles fransaskoises) quant à lui affirmait, lors de cette même table d’échanges, l’importance de démystifier les outils technologiques qui seront utilisés lors de la formation afin que les appenant·es puissent se les approprier.

Vous pouvez aussi vous aider d’applications de type Roue de la fortune comme Flucky, qui permettent, comme l’expliquait Yves Munn (UQAM), d’éviter l’attente de « qui parle en premier ». L’utilisation de Flucky est simple : vous écrivez les noms des personnes présentes puis lancez la roue en cliquant sur « Go ! ». La roue s’arrêtera toute seule sur un nom tiré au sort.

Voici une présentation en vidéo du fonctionnement de Flucky.

L’apprentissage collaboratif : l’exemple des wikis

Cela fait plus d’une dizaine d’années que le wiki a fait son apparition dans l’univers de la formation à distance basée sur l’interactivité. Cet outil, dont le nom d’origine hawaïenne peut se traduire par « rapide », « vite » ou « informel » offre la possibilité à des groupes de taille variée (pouvant aller jusqu’à plusieurs milliers de personnes à travers le monde) la possibilité de créer et enrichir collectivement des connaissances sur un sujet donné à partir d’un environnement Web simplifié et versatile et dont la prise en main ne nécessite pas une grande expertise technique.

Tel que présenté sur le wiki le plus populaire à l’heure actuelle, Wikipedia :

Un wiki est une application web qui permet la création, la modification et l’illustration collaboratives de pages à l’intérieur d’un site web. Il utilise un langage de balisage et son contenu est modifiable au moyen d’un navigateur web. C’est un logiciel de gestion de contenu, dont la structure implicite est minimale, tandis que la structure explicite émerge en fonction des besoins des usagers.

Wikipedia

Pour présenter les enjeux et le potentiel des wikis en enseignement collaboratif, nous nous appuierons sur l’expérience de Wiki-TEDia. Il s’agit d’un site alimenté par les étudiant·es suivant le cours Stratégies pédagogiques : une approche cognitive dispensé par Béatrice Pudelko, Ph.D, professeure au département Éducation de l’Université TÉLUQ. Wiki-TEDia est composé de gabarits de fiches, chacune portant sur une stratégie pédagogique. Les étudiant·es choisissent une fiche et la complètent. Puis, celle-ci est mise à disposition d’autres personnes de la communauté uqamienne qui voudraient l’enrichir.

L’utilisation de sites de type wiki s’inscrit dans un contexte pédagogique où les connaissances sont formulées et enrichies par le collectif, appelé en anglais « contribution-based pedagogy ». L’accent est mis sur le partage, car les wikis sont généralement conçus pour être diffusés à grande échelle, bien au-delà de la classe. Cela dit, les droits d’édition peuvent être limités à un groupe de personnes bien défini. Par exemple : les droits d’édition sont limités à la communauté de l’UQAM. Il faut donc avoir un compte de l’université pour éditer les fiches du Wiki-TEDia.

Toutefois, même dans ce cas, le processus d’édition du site reste transparent : toutes les personnes qui le consultent voient les dates d’édition du contenu et peuvent donc suivre l’évolution du travail en ligne. La « publicité » du wiki est donc un facteur à prendre en compte car elle peut être à double tranchant.

Du côté négatif, le fait que le contenu soit diffusé publiquement, d’après la philosophie des wikis, peut dissuader les étudiant·es de contribuer de peur du jugement extérieur. Dans ce cas, le simple fait de créer le site ne suffit pas, il faut donc motiver l’engouement par des stratégies variées : en faire une activité obligatoire, prévoir un système d’évaluation de la contribution, proposer un espace de communication entre pairs qui peut constituer un vecteur de motivation collective.

De même, Béatrice Pudelko indique que la crainte du jugement accompagne aussi certain·es formateurs·trices car cet exercice peut donner l’impression de vulnérabiliser la posture de l’enseignant·e qui est perçue comme la figure d’autorité et de science si l’on conçoit la formation comme une activité purement transmissive et non collaborative ni créative. L’enseignant ou la formatrice qui décide de travailler à partir d’un wiki doit donc repenser sa pratique et se préparer davantage à guider et orienter les échanges pour créer un environnement collaboratif stimulant duquel découleront des connaissances tangibles.

Du côté positif, une expérience de formation collaborative par wiki renforce la confiance en soi des apprenant·es car le fruit de leur travail est réutilisé et repartagé par d’autres personnes, ce qui signifie une reconnaissance et une valorisation de leur expertise. Les étudiant·es qui contribuent au Wiki-TEDia expriment leur grande satisfaction face aux retombées de ce travail et cela les motive à contribuer davantage aux fiches tout en ayant le souci constant de délivrer du contenu de qualité.

De plus, les sites de type wiki permettent de rassembler au même endroit des contenus de formes très variées : cela peut être des vidéos, des images, des hyperliens. Les pages ou fiches créées peuvent donc être rendues hautement interactives et les ressources disponibles très détaillées.

Page d'accueil du site Wiki-TEDia
Page d’accueil du site Wiki-TEDia

La classe inversée

La classe inversée est une stratégie pédagogique qui bouscule considérablement les codes en matière de formation. La classe n’est plus conçue comme le lieu de réception du contenu pédagogique, mais au contraire comme le lieu de discussion et d’expérimentation une fois que l’on a consulté le contenu pédagogique.

Dans la vidéo de présentation du concept que nous vous proposons de découvrir ci-dessous, la classe inversée a été résumée en une expression simple : « apprendre chez soi, pratiquer en classe ».

Sébastien Marcotte, l’enseignant de physique au collège de Montmorency interrogé dans cette vidéo, pratique la classe inversée en contexte hybride : les contenus pédagogiques sont consultables à distance de manière asynchrone, puis la classe se retrouve en présence pour développer les concept et réaliser des travaux pratiques. Cela dit, ce type de formation peut aussi être dispensé en contexte mixte, entièrement en ligne, en proposant des ressources pédagogiques à consulter de manière asynchrone avant de se retrouver en salle virtuelle de manière synchrone.

Cette vidéo a été réalisée dans le cadre de l’article Inverser la classe pour faire plus de pratique à l’école publié par Miriane Demers-Lemay dans Le Devoir.

Crédits : Entrevue de Sébastien Marcotte réalisée par Miriane Demers-Lemay et Guillaume Levasseur pour Le Devoir

Bien que la terminologie semble se concentrer sur le renversement des temporalités cours versus devoirs, la mise en place d’une stratégie de classe inversée va bien au-delà de la simple inversion des espaces-temps. Il ne suffit pas de dire que la présence en classe est le temps des devoirs et le retour chez soi le temps de suivre le cours.

En complément de ce revirement, il faut aussi appliquer une pédagogie active. Dans ce sens, il faut que le temps passé en classe soit optimisé, qu’il devienne une occasion de réaliser des exercices, de résoudre des problèmes, voire de créer des projets dans lesquels les apprenant·es s’impliquent pour analyser et éprouver les notions étudiées de manière asynchrone. La connaissance finale sera donc la somme de la théorie et de son expérimentation collective.

Une autre raison très intéressante d’appliquer une pédagogie active en contexte de classe inversée est que cela vient affecter directement l’engagement des étudiant·es. En effet, le rapport humain créé par les rencontres de groupe durant lesquelles il faut débattre, mettre sa compréhension individuelle à l’épreuve de celle des autres et parvenir à une définition de compromis qui permet de mener à bien un projet ou de créer un objet concret peut constituer un facteur de valorisation qui va motiver les étudiant·es à accorder davantage d’attention à l’étude préalable du matériel didactique car chacun·e voudra avoir les bases pour contribuer au travail collectif.

L’aspect sensible de cet enjeu cependant est que le formateur ou la formatrice doit développer son « senti » de la classe afin d’identifier les dynamiques d’échange et d’être en mesure de repérer les élèves potentiellement en difficulté afin de les accompagner et éviter le décrochage. Pour cause, l’objectif d’une stratégie de classe inversée est de créer un environnement stimulant et constructif dans lequel les apprenant·es peuvent « fabriquer » des connaissances tout en développant des compétences essentielles à notre réalité contemporaine : la collaboration, l’analyse, le sens de l’expérience, la discussion constructive, l’esprit de synthèse. Mais instaurer et maintenir ce contexte positif est une tâche particulièrement ardue lorsqu’elle doit être réalisée en contexte de formation à distance.

En effet, selon les modalités de l’outil synchrone choisi et les options d’interaction disponibles, le formateur ou la formatrice ne pourra pas toujours s’appuyer sur certains éléments qui auraient été cruciaux en contexte en présence, comme : le fait qu’une personne soit assise en retrait dans la salle, que les expressions non-verbales de certain·es étudiant·es témoignent d’une difficulté à suivre le rythme des autres qui vont plus vite parce qu’ils ont elles ont compris plus rapidement, etc. Percevoir le senti d’un groupe en ligne ne s’improvise pas, cela demande de l’entrainement et réclame que la formatrice ou le formateur développe les aptitudes pour régler un problème individuel tout en s’assurant que l’ensemble du groupe garde le cap.

En somme, la classe inversée est une stratégie pédagogique en plein essor qui peut s’implémenter dans différents contextes de formation et s’adapter à des modalités variées. Si elle est bien mise en place et soutenue par une implication continue des apprenant·es et des formatrices·teurs, elle permet de transformer la perception de l’activité d’apprentissage de manière durable en agissant tant sur l’acquisition de connaissances en tant que telles, mais aussi en amenant la réflexion sur l’aspect métacognitif de l’apprentissage : qu’est-ce que l’étudiant·e apprend? qu’est-ce qu’il ou elle retient de son expérience d’apprentissage? qu’est-ce qu’il ou elle retient de sa propre manière d’apprendre?

Pour exemple d’un programme en classe inversée bien connu et qui continue de se développer depuis 8 ans : la classe inversée de Mr Prof de Chimie. La chaîne YouTube compte aujourd’hui près de 14 000 abonnements. Retrouvez ci-dessous la vidéo très humoristique que Mr Prof de chimie a réalisée avec ses élèves afin de présenter le concept de sa classe inversée.